• Verdi et son temps de Pierre Milza

    En musique il est des biographies qui se détachent du lot : celle des Massin pour Mozart ou celle de Henri Louis de Lagrange pour Malher pour ne citer que les plus célèbres du XXe siècle. Dans la plupart des cas leur principal défaut est de s’adresser non pas seulement à des mélomanes mais à des mélomanes doués d’une connaissance relativement approfondie de la composition musicale orchestrale ou non.

    En dehors de la vie du compositeur, les auteurs s’attachent à faire une analyse détaillée, quasiment mesure par mesure de l’œuvre ; ces ouvrages peuvent passionner les spécialistes, les professeurs de conservatoires voire si ça les intéresse les interprètes eux-mêmes.

    Je dois dire que de ce point de vue je reste assez sceptique après l’expérience vécue dans la années 70 lorsqu’au cours d’un diner Daniel Barenboïm me regarda interloqué et sceptique quand je lui affirmais que sans Berlioz et Liszt, Wagner n’aurait pas pu faire évoluer l’écriture symphonique de ses opéras dans le sens qu’il prit. Plus récemment c’est avec plaisir que découvrant une répétition du Roméo et Juliette de Berlioz dirigée par Léonard Bernstein, ce dernier faisait remarquer aux musiciens que la scène du balcon était une annonce du dodécaphonisme, Berlioz utilisant les 12 tons pour figurer la passion de Roméo annonçant en quelque sorte le dodécaphonisme des débuts du XXe siècle.

    Ce préambule pour dire que la biographie de Verdi de Pierre Milza parue aux Editions Perrin en 2001 se démarque totalement de ce style professoral :

    « Verdi et son Temps » nous permet en 500 pages de comprendre sans étaler un scientisme quelconque, la façon dont sont nés les 28 opéras sous la plume du grand compositeur et dramaturge.

    Le ton est donné dès les premières pages par l’auteur qui décide de s’intéresser à l’évolution de l’évolution de l’œuvre de Verdi parallèlement à l’évolution historique de l’Italie du Risorgimento et des événements marquant de l’histoire européenne de la seconde moitié du XIXe.

    Cela donne un livre passionnant où l’on comprend le choix des sujets traités par l’enfant de la ville de Busseto et son implication dans la vie politique italienne relativement réduite - il ne voulait pas et refusa dans la quasi-totalité des cas de se mêler ou de participer à la vie politique italienne - mais tout de même déterminante en ce qui concerne la mise à la porte des Autrichiens dans les années 1850.

    Visconti a immortalisé dans son chef d’œuvre « Senso » l’impact que pouvait avoir une représentation d’un opéra de Verdi de cette période – opéra patriotique comme le qualifie Milza –déchaînant le délire du public malgré la présence dans la salle des « officiers en blanc ». La censure autrichienne veillait au grain aussi bien que le pouvoir ecclésiastique sachant que Verdi était un anticlérical de première grandeur.

    Contrairement à l’impression négative qui ressort de l’autobiographie et de toutes celles écrites sur Wagner et son œuvre, Verdi en dépit de nombreux défauts apparaît comme un homme humain, généreux, homme d’affaires certes mais avec de sérieux et justifiés mobiles. Il n’oubliera jamais ce qu’il appelle ses « années de galère », composant en moins de 10 ans presque la moitié de la totalité de son œuvre lyrique pour subvenir aux besoins de sa famille, n’ayant pas oublié son enfance dans un milieu loin d’être fortuné. Sans les dettes de son père aubergiste et de sa mère fileuse il n’aurait pas commencé des études musicales conseillé en cela par un distillateur de Busseto qui jusqu’à sa mort sera l’un des rares à avoir accès au domaine de Sant’ Agatha et aura la reconnaissance de Verdi à qui il permit ainsi de devenir l’un des compositeurs majeurs de l’histoire de la musique et de l’opéra.

    Milza nous fait suivre en parallèle les actions de Cavour et de Garibaldi en faveur du Risorgimento avec le soutien  «lyrique » du compositeur ; ce sont les trois personnages clés de l’époque.

    Homme d’affaires mais aussi homme exigeant en ce qui concerne le respect non seulement de ses droits d’auteur, mais en tant que créateur ; il supervisait de bout en bout la création et les reprises de ses opéras non seulement par le choix et la qualité des chanteurs, mais la mise en scène, les décors et les costumes et ne tolérait pas la moindre incartade ou négligence sur l’un de ces points ; l’arrogance d’un musicien de l’Opéra de Paris, «La grande Boutique» comme il l’appelle lui fit claquer la porte en pleine répétition des Vêpres Siciliennes, la façon dont Maurel se permit de faire des coupures dans Otello pour adapter à ses déficiences vocales la partition, entraina des poursuites de Verdi pour retirer l’œuvre de la scène de l’Opéra Comique sans succès hélas. Verdi serait horrifié aujourd’hui face aux horreurs que les metteurs en scène, directeurs d’opéras et interprètes on l’arrogance de monter sur les grandes et petites scènes lyriques du monde.

    Comme l’explique Milza nous ne savons pas grand-chose de la vie privée du compositeur, particulièrement jaloux de préserver son intimité. Cependant le rôle important que joua Giuseppina Strepponi la grande diva de l’époque, sur la vie et même la poursuite de la carrière de Verdi lors de longues périodes de découragement, nous est rendu grâce aux correspondances de cette dernière avec des proches du compositeur ; sans sa détermination, celle de Boito avec qui les premiers contacts furent pour le moins houleux et presque violents, ainsi que celui de Giulio Ricordi son éditeur Milanais, Otello et Falstaff n’auraient sans doute pas vu le jour.

    Verdi apparaît aussi comme le grand propriétaire terrien, n’hésitant pas à manier la truelle et la faux , soucieux d’aider ceux de ses concitoyens dans le besoins pendant les années noires que traversa l’Italie au plan économique suite de l’unification et de la disparition des frontières et droits de douanes intérieurs en particulier dans le domaine agricole. Devenu riche il mit sans hésiter la main au portefeuille pour aider ses contemporains dans le besoin, créant entre autres une maison de retraite pour les artistes dans le besoin.

    En une phrase cette biographie est passionnante et tout amateur de lyrique se doit de l’avoir lu tout en réécoutant ou en revoyant dans l’ordre chronologique ces superbes partitions.


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