• La magie retrouvée

    Il y a en musique des moments d'exception où lorsque le spectacle se termine, on n'arrive pas à applaudir tout de suite, puis l'on se laisse porter par le reste de la salle et enfin en sortant on se sent comme en apesanteur. 

    Je pense avoir ressenti cela quelques fois dans ma longue vie de mélomane.

    1956: fin du Roméo et Juliette de Berlioz chorégraphié par Georges Skibine et Georges Golovine pour la troupe du Marquis de Cuevas et donné dans la cour carrée du Louvre devant la façade illuminée d'ou sortaient les danseurs lors du bal chez les capulets. J'avais 15 ans, c'était mon premier ballet où ma mère m'emmenait. Je revois dans ma tête le spectacle comme si c'était hier 60 ans après!

    1958: Au disque, enregistrement d'Aida de Verdi par Karajan avec le Philharmonique de Vienne, les choeurs du Musikvereinn et Tebaldi, Simionato, Bergonzi dans les rôles principaux. Premier enregistremen en stéréo de l'oeuvre primé comme la plus grande réalistaion phonographique mondiale par l'Académie Charles Cros. Sauf erreur ces disques que j'ai écouté dans la bibliothèque de la propriété d'Albert Ollivier directeur de la télévision de l'époque et père de mon meilleur ami, je suis le seul à les avoir entendu comme fasciné et sous hypnose d'une traite (6 faces de 33 tours)

    1962: Deux spectacles, le Indes Galantes à l'Opéra de Paris dans la superproduction de Maurice Lehmann, sans doute l'une des dernières représentations du spectacle créé en 1952.

    1962: encore à Stuttgart. Mes hôtes allemands m'avaient emmené voir Eugène Onéguine de Tchaikowski, j'avais plutôt deviné l'action car ne parlant pas l'allemand et encore moins le russe. Mais je me retrouvais dans les deux personnages principaux de Lenski et d'Onéguine. Miracle obtenu quand des interprètes sont de parfaits comédiens et vous donnent l'impression de comprendre ce qu'ils disent.

    1965: Norma de Bellini à la Scala de Milan. La magie de cette salle et de ce plateau avec la grande Leyla Gencer et Bruno Prevedi et l'incontournable Fiorenza Cossoto et son époux Ivo Vinco.

    1972: La femme sans ombre de Richard Strauss à l'opéra de Paris avec une distribution réunissant Nilsson, Ludwig, Prey, King, Hesse et au pupitre Karl Böhm. Plus d'un quart d'heure de rappels à chaque fois où le chef arrivait et à la fin de chaque acte. Soirée inouïe où pour la première je voyais et entendais un opéra du génial compositeur. Le coup de foudre absolu!

    1973: Les Noces de Figaro de Mozart (est-il besoin de le rappeler) dans la mise en scène mythique qui tient la scène depuis plus de quarante ans de Georges Strehler. On n'a pas fait mieux depuis. J'ai vu le spectacle 10 ou 12 fois, je ne sais plus très bien...

    2000: La Guerre et la Paix de Prokofiev mise en scène de Francesca Zambello. Un chef d'oeuvre revu trois fois...

    2004: Capriccio que je viens de revoir ce soir pour la quatrième fois.

    C'est toujours le même enchantement, mais aussi la découverte de détails de mise en scène, de répliques dans les dialogues et surtout cette impression de tenir enfin un livret qui tient debout où les héroïnes ne meurent pas en 20 minutes tout en s'époumonant à cracher leur poumons alors qu'elles sont phtisiques!

    En fin de compte quand je fais le bilan de l'évolution de mes gouts en matière de lyrique, même si les grands Verdi, Rossini ou autres italiens me plaisent, les opéras où vraiment "je marche" sont Tosca, Turandot, les deux grands de Tchaikowski, tous les Wagner, Elektra-Salomé-La femme sans ombre-Capriccio de Strauss et Lulu de Berg et j'ajouterai pour Verdi Falstaff, Otello et Macbeth.

    Ici au moins les héros hommes ou femmes tiennent la route et vivent des situations crédibles.

    Avec Capriccio Robert Carsen je l'ai déjà écrit plus haut, signe sa plus belle mise en scène, respectueuse à la lettre des intentions du compositeur librettiste. Le livre fut suggéré à Strauss par Stephan Zweig avant que ce dernier ne s'exile aux USA puis au Brésil pour fuir le régime Nazi. Strauss s'inspira d'un ouvrage de Saliéri pour écrire le livret en collaboration avec le chef d'orchestre Clemens Krauss. L'opéra fut créé en 1942 à Munich un an avant que la salle ne soit détruite par les bombes alliées.

    Comme le sous tend la nouvelle version du programme donnée dans la salle de Garnier, non seulement le sujet pose la question de la primauté de la musique ou du texte dans l'art lyrique ou vice versa, mais dans le fond aussi le conflit entre le laid et le beau, entre les amours rivaux de Flamand le musicien et d'Olivier le poête envers la comtesse Madeleine. Zweig dans un texte ne comprend pas comment un musicien pouvait se concentrer pour composer dans le climat du Reich et de la guerre déjà quasiment perdue par les Allemands. Le directeur de l'opéra décrit les spectateurs arrivant en plein black out tenant de petites lanternes dont une petite fente permettait de faire passer une lumière bleue, dans le nuit noire de la ville et à la merci du premier raid aérien. Il y eut d'ailleurs à l'issue de la première une alerte.

    Aujourd'hui nous avons la chance de voir cette oeuvre magnifique dans des conditions optimales, dans la splendeur de Garnier avec un décor de Michael Levine qui utilise à plein les possibilités de la scène de Garnier. Cette mise en scène ne peut pas s'exporter car seul notre ancien opéra dispose d'un foyer de la danse ouvrant sur le fond de la scène et donnant ainsi une perspective de 50m.

    Cet opéra ne se raconte pas tant de détails, d'informations sont données au spectateur durant ces deux heures et demi sans entracte. C'est au spectateur d'imaginer au baissé du rideau quel sera le vainqueur, Flamant ou Olivier dans le cœur de la comtesse, la musique ou le poème.

    Prima la musica dopo le parole, o primo le parole dopo la musica?

    A vous de choisir...

    La magie retrouvée

     

    Saluts à la fin de la représentation de ce soir devant le foyer de la danse grand ouvert

     


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