• Un extrait de la Comédie Humaine de Balzac à savourer

    Voici sans doute un chef d’œuvre de mise en scène tel que Balzac sans doute était bien le seul à pouvoir nous faire partager dans une des nouvelles de sa Comédie Humaine. Aucun écrivain n'est capable d'écrire avec ce style et cet humour ravageur.

    La nouvelle s'appelle "Une file d'Eve". C'est une critique féroce de l'arrivisme d'un jeune écrivain qui veut intégrer la haute société du régime de Louis Philippe, l'action se déroule après 1830, et pense ainsi se faire élire à la chambre et devenir ministre. Malheureusement pour lui sa prétention va déchainer contre lui ceux qui ne veulent surtout pas de lui dans le monde politique et tenteront de le faire tomber, l'acculant à la prison pour dettes et à une tentaive de suicide, par un comportement machiavélique. La comtesse de Vandenesse qui est tombé sous son charme et dont il se sert pour réaliser son ambition, manque de se perdre et son époux qui a tout compris viendra à son secours et lui prouvera qu'il ne faut pas se fier aux apparences, aussi bien du coté marital qui semble ne pas l'aimer, et du soit disant amant qui met son ambition avant toutes autres considérations sentimentales.

     

    La scène ci dessous se passe quand la Comtesse, sauvant son amant du suicide,  avec sa belle sœur mariée au principal adversaire du jeune homme, et l'épouse d'un banquier, tente de couvrir la dette de 40000 francs de l'époque, intérêts compris, pour éviter à Raoul Nathan de se trouver en prison. Mme de Vandenesse vient voir son vieux professeur de piano allemand , tout droit sortie des contes d'Hoffmann, pour lui faire signer des lettres de change, elle même en infraction avec la législation en vigueur sur les droits des femmes. La description des lieux vaut son pesant d'or!:

    "...La voiture ne pouvait entrer dans la petite rue

    de Nevers ; mais comme Schmuke habitait une

    maison située à l’angle du quai, la comtesse n’eut

    pas à marcher dans la boue, elle sauta presque de

    son marchepied à l’allée boueuse et ruinée de

    cette vieille maison noire, raccommodée comme

    la faïence d’un portier avec des attaches en fer, et

    surplombant de manière à inquiéter les passants.

    Le vieux maître de chapelle demeurait au

    quatrième étage et jouissait du bel aspect de la

    Seine, depuis le Pont-Neuf jusqu’à la colline de

    Chaillot. Ce bon être fut si surpris quand le

    laquais lui annonça la visite de son ancienne

    écolière, que dans sa stupéfaction il la laissa

    pénétrer chez lui. Jamais la comtesse n’eût

    inventé ni soupçonné l’existence qui se révéla

    soudain à ses regards, quoiqu’elle connût depuis

    longtemps le profond dédain de Schmuke pour le

    costume et le peu d’intérêt qu’il portait aux

    choses de ce monde. Qui aurait pu croire au

    laisser-aller d’une pareille vie, à une si complète

    insouciance ? Schmuke était un Diogène

    musicien, il n’avait point honte de son désordre,

    il l’eût nié tant il y était habitué. L’usage

    incessant d’une bonne grosse pipe allemande

    avait répandu sur le plafond, sur le misérable

    papier de tenture, écorché en mille endroits par

    un chat, une teinte blonde qui donnait aux objets

    l’aspect des moissons dorées de Cérès. Le chat,

    doué d’une magnifique robe à longues soies

    ébouriffées à faire envie à une portière, était là

    comme la maîtresse du logis, grave dans sa barbe,

    sans inquiétude ; du haut d’un excellent piano de

    Vienne où il siégeait magistralement, il jeta sur la

    comtesse, quand elle entra, ce regard mielleux et

    froid par lequel toute femme étonnée de sa beauté

    l’aurait saluée ; il ne se dérangea point, il agita

    seulement les deux fils d’argent de ses

    moustaches droites et reporta sur Schmuke ses

    deux yeux d’or. Le piano, caduc et d’un bon bois

    peint en noir et or, mais sale, déteint, écaillé,

    montrait des touches usées comme les dents des

    vieux chevaux, et jaunies par la couleur

    fuligineuse tombée de la pipe. Sur la tablette, de

    petits tas de cendres disaient que, la veille,

    Schmuke avait chevauché sur le vieil instrument

    vers quelque sabbat musical. Le carreau, plein de

    boue séchée, de papiers déchirés, de cendres de

    pipe, de débris inexplicables, ressemblait au

    plancher des pensionnats quand il n’a pas été

    balayé depuis huit jours, et d’où les domestiques

    chassent des monceaux de choses qui sont entre

    le fumier et les guenilles. Un œil plus exercé que

    celui de la comtesse y aurait trouvé des

    renseignements sur la vie de Schmuke, dans

    quelques épluchures de marrons, des pelures de

    pommes, des coquilles d’œufs rouges, dans des

    plats cassés par inadvertance et crottés de sauercraut. Ce détritus allemand formait un tapis de

    poudreux immondices qui craquait sous les pieds,

    et se ralliait à un amas de cendres qui descendait

    majestueusement d’une cheminée en pierre peinte

    où trônait une bûche en charbon de terre devant

    laquelle deux tisons avaient l’air de se consumer.

    Sur la cheminée, un trumeau et sa glace, où les

    figures dansaient la sarabande ; d’un côté la

    glorieuse pipe accrochée, de l’autre un pot

    chinois où le professeur mettait son tabac. Deux

    fauteuils achetés de hasard, comme une couchette

    maigre et plate, comme la commode vermoulue

    et sans marbre, comme la table estropiée où se

    voyaient les restes d’un frugal déjeuner,

    composaient ce mobilier plus simple que celui

    d’un wigwam de Mohicans. Un miroir à barbe

    suspendu à l’espagnolette de la fenêtre sans

    rideaux et surmonté d’une loque zébrée par les

    nettoyages du rasoir, indiquait les sacrifices que

    Schmuke faisait aux Grâces et au Monde. Le

    chat, être faible et protégé, était le mieux partagé,

    il jouissait d’un vieux coussin de bergère auprès

    duquel se voyaient une tasse et un plat de

    porcelaine blanche. Mais ce qu’aucun style ne

    peut décrire, c’est l’état où Schmuke, le chat et la

    pipe, trinité vivante, avaient mis ces meubles. La

    pipe avait brûlé la table çà et là. Le chat et la tête

    de Schmuke avaient graissé le velours d’Utrecht

    vert des deux fauteuils, de manière à lui ôter sa

    rudesse. Sans la splendide queue de ce chat, qui

    faisait en partie le ménage, jamais les places

    libres sur la commode ou sur le piano n’eussent

    été nettoyées. Dans un coin se tenaient les

    souliers, qui voudraient un dénombrement

    épique. Les dessus de la commode et du piano

    étaient encombrés de livres de musique, à dos

    rongés, éventrés, à coins blanchis, émoussés, où

    le carton montrait ses mille feuilles. Le long des

    murs étaient collées avec des pains à cacheter les

    adresses des écolières. Le nombre de pains sans

    papiers indiquait les adresses défuntes. Sur le

    papier se lisaient des calculs faits à la craie. La

    commode était ornée de cruchons de bière bus la

    veille, lesquels paraissaient neufs et brillants au

    milieu de ces vieilleries et des paperasses.

    L’hygiène était représentée par un pot à eau

    couronné d’une serviette, et un morceau de savon

    vulgaire, blanc pailleté de bleu qui humectait le

    bois de rose en plusieurs endroits. Deux chapeaux

    également vieux étaient accrochés à un portemanteau d’où pendait le même carrick bleu à

    trois collets que la comtesse avait toujours vu à

    Schmuke. Au bas de la fenêtre étaient trois pots

    de fleurs, des fleurs allemandes sans doute, et

    tout auprès une canne de houx. Quoique la vue et

    l’odorat de la comtesse fussent désagréablement

    affectés, le sourire et le regard de Schmuke lui

    cachèrent ces misères sous de célestes rayons qui

    firent resplendir les teintes blondes, et vivifièrent

    ce chaos. L’âme de cet homme divin, qui

    connaissait et révélait tant de choses divines,

    scintillait comme un soleil. Son rire si franc, si

    ingénu à l’aspect d’une de ses saintes Céciles,

    répandit les éclats de la jeunesse, de la gaieté, de

    l’innocence. Il versa les trésors les plus chers à

    l’homme, et s’en fit un manteau qui cacha sa

    pauvreté. Le parvenu le plus dédaigneux eût

    trouvé peut-être ignoble de songer au cadre où

    s’agitait ce magnifique apôtre de la religion

    musicale...."

     


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  • Commentaires

    1
    Vendredi 1er Mai 2020 à 18:55

    Bonsoir Claude,

    Et cet évènement spécial un 1er mai 2020 qui restera j'espère unique (hum) dans notre vie, et qui est présenté aujourd'hui par ceux qui ne cessent de donner de leur temps pour les autres: avec nos bises, Sylvie et Georges

     

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    2
    Samedi 2 Mai 2020 à 06:21

    Bonjour Sylvie, ce que je vais écrire ne te fera pas plaisir mais j'ai l'habitude de dire ce que je pense quoiqu'il en résulte.

    Je ne vois pas ce que vient faire ce commentaire sur un article consacré à Balzac et à la qualité de son style.

    Par ailleurs quand bien même je choquerai bien des gens, le 1er Mai pour moi n'a aucune signification sinon celle d'une politique de gauchistes pensant plus à en faire le moins possible que véritablement promouvoir le travail. Par ailleurs je ne puis oublier que cette date a été institutionnalisée par un criminel: le Maréchal Pétain. Elle fut reprise en 1947 ce qui est un comble.

     C’est aux États-Unis qu’il faut la chercher. Même si là-bas, la grande journée ouvrière reste  le premier lundi de septembre. Le 1er mai 1886, à Chicago, éclate une grève en faveur de la journée de huit heures, qui donne naissance, le surlendemain, à une manifestation durement réprimée par la police. Les Anarchistes vont en faire un emblème de la répression. Or, en France, en 1889, la IIe Internationale socialiste est réunie pour célébrer le centenaire de la Révolution ; et l’on décide donc d’organiser une grande manifestation, à date fixe ; pourquoi le 1er mai ? Par référence à ces événements de Chicago !

    En France on a la mémoire courte.

    Dernier point, je n'ai pas besoin d'applaudir ou d'envoyer des fleurs au corps médical ou paramédical pour leur exprimer mon admiration et/ou ma reconnaissance. Ma façon de leur dire merci qui me semble autrement plus responsable, est de suivre strictement le confinement actuel alors que bien de ceux qui applaudissent se donnent des libertés en trichant comme on peut le voir à la télévision dans des reportages. Hier sur l'une des chaines on montrait le nombre invraisemblable de gens irresponsables dans les rues de Marseille, les gestes barrières ils en avaient que faire, l'interdiction de sortir sauf pour motifs majeurs idem et cette ville n'est pas la seule dans ce cas.

    Je considère comme irresponsable de se plaindre comme le fait la CGT de l'éventuel abandon des  35h à l'heure où le pays va devoir faire face à une crise économique sans précédent dont on est loin d'imaginer l'ampleur. Aujourd'hui ce n'est pas pour les vacances, la plage ou le jogging que l'on doit se mobiliser, mais essentiellement à se retrousser les manches, travailler d'arrache pied  , en faire le maximum pour éviter une nouvelle vague de pandémie et aider à sortir du gouffre abyssal où l'irresponsabilité de la gauche nous a plongé depuis 40 ans et que vient encore amplifier de façon exponentielle la crise sanitaire actuelle.

    Certains responsables feraient bien de réfléchir avant de parler de fin de la pandémie et autres propos irresponsables entendus avant hier. Il n'est pas certain que les cartes pondues par la clique de Macron soient propres à responsabiliser des citoyens toujours prompts à tricher.

    En ce qui me concerne je n'ai nul besoin que l'on me dise de limiter au maximum mes déplacements après le 11 Mai si dé-confinement il y a, ce qui est encore à voir car les chiffres servant de base à la prise de décision sont largement sous évalués pour des raisons essentiellement électoralistes ne nous y trompons pas, tout comme le fut le scandale du 1er tour des municipales maintenu par des élus sans scrupules. Que ne feraient-ils pas pour avoir des voix et garder leur cher pouvoir et avantages colossaux en tous genres.

    En conclusion je n'empêche pas que l'on commente mes articles, mais je souhaite que les commentaires soient en rapport direct avec leur contenu, le thème abordé par ce dernier. Et j'ajouterai pour le malotru qui s'est permis hier d'être grossier sur un autre article, je supprimerai systématiquement tout commentaire insultant ou faisant référence comme ce fut le cas aux membres de ma famille. Bien entendu ceci n'est pas le cas pour le commentaire ci-dessus.

    J'espère que tu ne m'en voudras pas de ma franchise ma chère Sylvie. J'espère que Georges, toi et toute ta petite famille vous portez bien,

    Bises

    Claude

     

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